Réunion...
Superbes ces nuages ! Quelle luminosité au dessus des montagnes ! Et ça souffle fort. J'ai envie d'être dehors. Qu'est-ce que je fais là ?
Faudrait pas qu'il s'aperçoive que je regarde derrière lui, là-bas, à travers les grandes vitres de la grande salle de réunion au lieu de me concentrer sur ses paroles. En plus, sa voix me berce, si ça continue je vais m'endormir.
Tiens, le président s'ennuie aussi. Il vient d'étendre ses mains pour observer ses ongles, il acquiesce de temps en temps mais je suis sûre qu'il aimerait mieux aussi être dehors.
D'ailleurs il paraît qu'il fait beaucoup de sport, c'est sans doute pour ça qu'il a autant maigri. Il a de l'allure maintenant, une belle prestance dans son costume hyper cher et sa chemise impeccablement repassée. Cravate assortie avec le meilleur goût, teint hâlé façon ski, yeux bleus. Non, franchement, il porte bien sa cinquantaine passée.
On voit tout de suite que c'est lui le chef.
Enfin tout ça, c'est quand vous n'avez pas entendu par le collègue du deuxième qui le tient de sa secrétaire à qui l’a raconté son chauffeur privé, qu'en privé justement, dans la voiture de fonction, il rote et il p.......
Parce que quand vous le savez, ça casse l'image....
Il continue à parler le moustachu que nous a envoyé la maison mère. Il parle bien d'ailleurs. Je me demande comment il est celui-là sans sa moustache.
D'abord qu'est-ce qu'il a à gigoter comme ça sur sa chaise ? Il doit remuer son pied hyper vite sous la table et ça le fait rebondir ! Il pense qu'on ne le voit pas ! Faut croire qu'il n'est pas si à l'aise que ça malgré le beau débit régulier de tout son savoir. Un tout petit manque d'assurance quand même ?
L'assurance....
Elle me manque gravement à moi l'assurance.
Au début de la réunion il a fallu se présenter...
Oh, ce n'est pas grand chose, c'est vraiment à la portée de la première andouille venue de dire son nom et sa fonction ! Et pourtant...
Pendant le tour de table, je me suis répété mon nom sans relâche, des fois que je l'oublierais...
Et quand mon tour est venu, je l'ai lâché sans respirer et d'une voix étranglée mon nom.
Il parle, il parle, le moustachu, bien habillé lui aussi. Je n’arrive pas à écouter aujourd’hui, ça ne m'intéresse pas aujourd’hui. On ne pourrait pas me parler, je ne sais pas moi, de la météo, des couches sédimentaires et de l'absorption de la pluie là-bas dans les collines derrière les vitres ?
Du concret, de l'utile, du vivant !
De la façon de poser une attèle sur la patte cassée d'un faucon crécerelle ou de....
"C'est vous madame qui portiez ce dossier l'année dernière ? vous devez donc savoir........
Au secours ! A l'aide ! Je suis rouge, je vais imploser, je dois avoir un air terrifié, implorant, martyrisé !
Je réussis à bafouiller en réponse que j'ai effectivement les chiffres quelque part dans un dossier.
Brillante participation....
Il a envie de parler un peu maintenant le président on dirait.
"Pardonnez moi dit-il au moustachu, de vous interrompre, je dois m'assurer du feet-back..."
Feet-back ? c'est quoi ça ? retour de pied ?
"... là-dessus nous devons être coercitifs, ou comminatoires....."
Fichtre, il faut vraiment que je retrouve le carton encore fermé du dernier déménagement où se trouve toujours mon dictionnaire…
"j'ai encore 10 minutes dit-il en regardant sa montre, ensuite je devrai vous laisser..."
Allons bon, il nous quitte....
La formule à dire quand il va sortir c'est "au revoir monsieur le président"
Il fait le débordé, j'ignore s'il l'est, les collègues prétendent qu'il se tourne les pouces là-haut. (parce que quand on parle de lui, on dit "la-haut", voire même on montre le ciel, ma parole on dirait qu'on parle de Dieu)
Mais enfin c'est clair qu'on dit toujours que les autres ne fichent rien...
Ceux qui travaillent dans le privé se fichent des fonctionnaires qui eux, parlent des promotions canapé du privé.
Les employés de l'éducation nationale se moquent des soit-disant feignants de la sécurité sociale qui font des blagues sur le dos des agents des postes.
Et je ne parle pas des employés de la SNCF, bannis de tous, ces grévistes là, tout comme les crapules d'employés de banque avec leur 17ème mois, ni des avantages infinis des employés des mairies. Ni du médecin spécialiste qui passe dix minutes sur chaque client de sa salle d'attente bondée, tout ça parce qu'il a fait des études ou de l’escroc de dentiste...
Les patrons traitent leurs secrétaires de bonnes à rien, et elles disent d'eux qu'ils ne sont pas fichus d'envoyer un simple fax.
Bref, personne ne travaille. Pas étonnant que ça marche mal ma pauv' dame.
Au revoir monsieur le Président. J'ai toujours du mal. Pourtant je suis très humble, ce n'est pas ça, mais je trouve la formule un tantinet ridicule. Il me semble que même devant une cour d'assise, je ne serais pas capable de dire "oui monsieur le juge".
Au revoir monsieur le Président, je me répète, je me répète...
Dans les feuilletons ils n'arrêtent pas d'en servir des formules, c'est comme ça en vrai ?
Oui monsieur le procureur
Non madame le juge
Oui monsieur le commissaire
Non monsieur le substitut du.....
"Au revoir mesdames" il a dit en regardant vers les dames
"Au revoir monsieur" je lui ai répondu.
Rien à faire, pas capable d'appliquer le règlement correctement. Et encore heureux que je n'ai pas répondu "ok patron", j'en étais arrivé là dans mes formules de télé !
Ma collègue, à côté de moi, est vêtue sans harmonie, ni parfumée ni maquillée. Elle ne porte même pas de bijoux. Comment peut-on aller en réunion sans rouge à lèvres ni boucles d'oreilles ? Ca c'est un manque de respect pour les autres !
N'empêche qu'elle, elle a dit "au revoir monsieur le Président". Elle a le sens de la hiérarchie elle au moins.
Le temps change là-bas, il va pleuvoir on dirait. Je me demande ce que je vais faire à manger ce soir…
Isembrine
