Tandis que Sirius, (ton étoile papa) luit encore, le jour se lève sur la terre...
la terre des hommes...
8 heures. Un assassin passe dans la rue, impunément. Il siffle, la consience tranquille. Il tient un cadavre sur son épaule droite. Pourtant il croise des enfants trottant vers l'école, pourtant il porte encore sur son tablier blanc les stygmates de la mort, des trainées de sang. Il y a plusieurs autres corps pendus dans son camion, par des crochets, tous de jeunes enfants, ils n'ont pas deux ans ! Pendant lourdement, son cadavre n'a plus ni peau ni tête. C''est ignoble non ? Mais ce n'est qu'une bête qu'il transporte, alors ça gêne personne hein ?
A 13 heures un crétin de journaliste annonce avec son air heureux - imbécile heureux peut-être - un reportage très régional. Si c'est sur une région, il y a deux chances sur trois pour qu'on parle de bouffe. Bah oui, un brave homme avec un accent rassurant du terroir caresse une vache paisible observant la caméra, il parle avec grande fierté de la tendresse de la viande qu'IL produit. Tiens donc, il n'a qu'à donner son cul à manger celui-là, puisqu'IL produit ! Il parle devant elle, douce innocente aux grands yeux. Oh elle ne comprend pas les mots sans doute. En somme c'est un peu comme si un chirurgien annonçait dans une langue étrangère que les beaux poumons de son patient très conscient feront de très beaux dons d'organes, quand il sera mort, incessament sous peu, alors y a pas de soucis, qu'il crève, puisqu'il est là pour ça. L'instant d'après, la vache, ou sa mère, ou sa soeur, elle est dans l'assiette, avec de la crème fraîche, et un autre type satisfait nous dit que c'est le bonheur, des amis et de la bonne chair.
A 19 heures, au supermarché, un crabe gît lamentablement sur son tas d'algues. Ils sont nombreux, et pour lui c'est encore pire, il est tombé sur le dos et ne peut pas se relever. Il remue ses petites mandibules et fait des bulles avec sa bouche. Une jeune fille rit avec son père au dessus des crabes. Que peut-il y avoir de drôle dans cette scène pour une jeune fille, apparemment dépourvue de pitié ? Serait-ce la mort atroce qui les attend tous dans l'eau bouillante ? Après tout, j'ai bien vu la "sublime" (c'est ce qu'ils disent tous) Ingrid Chauvin jeter dans une marmitte frémissante un homard aussi vivant qu'elle, et aussi intelligent oserait-je dire, car oui, les homards sont intelligents, très intelligents. et oui, ils ressentent la douleur tout comme nous, non, plus encore que nous, vous le saviez ? Moi, voyez-vous, je me demande toujours ce qu'ils ressentent, sur leurs yeux noirs quand l'eau bouillante les submerge. D'après vous, ça leur fait quoi exactement comme sensation, dans les yeux ? Quand j'étais petite, si la nuit, malencontreusement je mettais la main sur les yeux toujours ouverts de mon nounours, courageusement , après, je mettais un doigt sur mon oeil grand ouvert, pour avoir mal comme lui, ou bien pour savoir comment il avait mal, par solidarité. Il me semble que si les hommes essayaient de ressentir précisément ce que peuvent ressentir les yeux des homards, ils ne pourraient plus faire ça... Je dois me tromper... La bombe de feuilleton, elle, arborait son sourire angélique, comme à l'accoutumée, pendant que le homard hurlait en silence.J'aimerais informer cette cruella et toutes les autres que les homards peuvent vivre plus d'un siècle, qu'ils ont une vie sociale complexe, qu'ils ont un système nerveu sophistiqué qui les rend très sensibles à la douleur, qu'ils sont donc condamnés à souffrir jusqu'à ce que leur système nerveux ne soit complètement détruit. Et qu'ils ne disposent pas (ni les poissons d'ailleurs) du mécanisme dont disposent les humains qui fait qu'en cas de douleur extrême, un choc intervient pour court-circuiter la sensation. Un homard plongé dans l'eau bouillante reste vivant pendant 40 atroces secondes. Placé dans l'eau froide portée à ébullition, il survit jusqu'à 5 minutes... Avant ça, depuis sa capture, on ne lui a pas du tout donné à manger (ça évite de salire), et il a bien-sûr les pinces entravées, et il est souvent maintenu dans des cages réfrigérées...
Le crabe à l'envers, je ne peux pas l'atteindre, alors, comme le ridicule ne tue pas et que je me fiche un peu de l'opinion de certains, je dis au poissonnier qu'il faudrait, au moins, le retourner. Il hésite, puis il s'exécute avec brusquerie, sans une parole, me regardant tout à fait comme si j'étais la folle de Chaillot.
A 21h, sur la voie express, il fait froid, nuit, il pleut averse. On y voit pas grand chose, assez tout de même pour apercevoir dans la lumière des phares les cages bondées de poules du camion que je double. Elles sont combien ? Je ne sais pas, des dizaines, les pates sur les grillages glacées des cages, entassées au possible. On y voit presque rien, et pourtant il m'a semblé, il me semble encore, avoir croisé des regards emplis de détresse et de terreur dans toutes ces petites vies en partance pour l'enfer. Je voudrais... je voudrais tant....
" Tu vois, j' suis pas un homme,
Je suis le roi de l'illusion
Au fond, qu'on me pardonne
Je suis le roi, le roi des cons...
Je suis un homme et je mesure
Toute l'horreur de ma nature..."
(Je suis un homme - Zazie)
